Bien qu'il fasse infiniment moins de morts que le tabac, l'alcool et l'obésité, le nucléaire fait peur. Dans l'imaginaire collectif, accident nucléaire rime forcément avec paysages de désolation et cancers garanti pour toutes les personnes ayant été exposées. Qu'en est-il réellement ? Peut-on prévoir le nombre de personnes qui subiront les effets d'une exposition à la radioactivité ? La publication 103 (PDF) de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) de 2007 donne quelques pistes.

Detriment radiologique ICRP

Selon la publication, le coefficient de risque pour les cancers suite à une exposition à des rayonnements à faible débit de dose est de 5.5% par Sievert pour la population générale, pour la vie entière. La publication 103 ne précise pas ce qu'est un faible débit de dose. Mais le rapport 2000 de l'UNSCEAR, sur lequel s'appuient également les radioprotectionnistes, fixe en annexe G page 79 la limite supérieure des faibles débits de dose à 6 mSv/h (il est en fait question de mGy dans le rapport, mais pour les rayons gamma, 1Gy est égal à 1Sv). Notons qu'il est ici question d'estimer le risque de survenue de cancers, et pas le nombre de décès par cancers, ni la gravité des cancers, qui est indépendante de la dose.

D'autre part, la CIPR prend bien soin de préciser que ce coefficient est destiné à servir de "base prudente pour les besoins pratiques de la protection radiologique" et "qu’il est inapproprié, pour les besoins de la santé publique, de calculer le nombre hypothétique de cas de cancers ou de maladies héréditaires qui pourraient être associés à de très faibles doses de rayonnement reçues par un grand nombre de personnes sur de très longues périodes".

En langage clair, cela signifie que le coefficient de 5.5% par Sievert est un estimateur raisonnable mais majorant du risque, et qu'il ne peut servir de base pour calculer un nombre réel de victimes quand les doses et débits de doses sont très faibles (en dessous de 10 mSV on est dans les très faibles doses). Il faut rappeler qu'en pratique, l'épidémiologie n'a jamais réussi à mettre clairement en évidence un excès de cancers pour des doses inférieures à 100mSv, et que la dose moyenne dûe au rayonnement naturel est d'environ 2.4 mSv par an, avec des centaines de milliers de personnes exposées à des doses naturelles de 10 à 20 mSv par an sans qu'on puisse montrer un excès de cancer. Cependant, par prudence, les radioprotectionnistes considèrent que le risque est malgré tout proportionnel à la dose même en dessous du seuil de 100 mSv. C'est ce que l'on appelle la relation linéaire sans seuil.

Pour ce qui est des effet héréditaires, le coefficient de risque estimé est de 0.2% par Sievert. Là encore il s'agit d'une estimation prudente pour les besoins de la radioprotection, car aucune étude scientifique n'a encore jamais mis en évidence d'effets héréditaires de la radioactivité chez l'homme (mais cela a été prouvé chez l'animal).

Comment utiliser ces coefficients de risque concrètement ? Prenons l'exemple des 116000 personnes évacuées suite à la catastrophe de Chernobyl. D'après l'OMS la dose moyenne reçue par ces personnes en plus du rayonnement naturel est estimée à 33 mSv. Le risque de cancers radio-induits vie entière estimé pour cette population serait donc de 116000*0.055*0.033 soit 210 cancers (0.18% de la population exposé). Ces 210 cancers radio-induits seraient très difficiles à mettre en évidence par l'épidémiologie, car en supposant que le taux de cancers non radio-induits soit similaire à celui observé en France (29%), on observerait pour la même population 33640 cas de cancers non liés aux radiations. Les 210 cancers radio-induits, s'ils étaient avérés, seraient masqués par les variations naturelles des cancers non radio-induits. Pour démontrer de façon sûre un excès de cancers radio-induits pour ce niveau de dose il faudrait une échantillon de plusieurs millions de personnes. Rappelons aussi qu'étant dans le domaine des très faibles doses ce calcul n'est que théorique et pas prédictif, conformément aux recommandations de l'ICRP.